Par Gilles Clerc
Samedi dernier, une étrange caravane s’est ébranlée de Montréal. Plusieurs 2CV Citroën ont rallié Québec par la route 138. Des passionnées de ces voitures « avec les yeux sortis et les fesses en l’air », les restaurent, les réparent, les bichonnent, pour les faire vivre sur nos routes québécoises. Mais il n’y a pas si longtemps, des voitures françaises roulaient en Amérique du nord.
Michel(2) conduit une 2CV depuis 22 ans. Elle a aujourd’hui 360 000 kms. Technicien en mécanique à la retraite, il est devenu le spécialiste québécois de cette Citroen mythique. Il est aussi l’importateur officiel pour l’Amérique du nord, de Méhari Club de Cassis, le plus gros fournisseur de pièces de 2CV au monde. C’est à Paris qu’il est tombé en amour avec cette drôle de petite voiture il y a un peu plus de 22 ans. Et c’est encore grâce à cette voiture qu’il rencontre Danielle, une française devenue sa femme, et qui vit au Québec depuis 11 ans maintenant. « On ne peut pas oublier les souvenirs que l’on a eus avec une 2CV », ajoute-t-il. Danielle est aussi une adepte de cette «voiture rigolote» qu’elle conduit tout l’été.
Samedi dernier, à leur initiative, 14 voitures 2CV ont bravé les routes du Québec et se sont retrouvés dans la Capitale nationale, pour le traditionnel méchoui. Michel se veut rassurant : « la 2CV est faite pour nos routes, grâce à sa suspension très douce ». Il reconnaît que l’hiver n’est pas la meilleure saison pour sa voiture fétiche, car la structure est fragile et pourrait être endommagée avec le sel.
Mais il n’y a pas si longtemps, dans les années 1960 à 1980, des voitures françaises roulaient sur les route du Québec. C’était l’époque ou les constructeurs osaient traverser l’Atlantique, portés par le boom de l’industrie en France. Simca, Peugeot, Citroën et Renault ont tenté l’aventure, dès les années 60, recrutés des concessionnaires dans les grandes villes, et conquis un public québécois, séduit par l’originalité, l’esthétique, le confort et la technique des modèles français. Et à une époque ou les constructeurs américains ne se souciaient guère de la consommation, c’est également cet aspect autant que les qualités routières, que les québécois appréciaient chez les constructeurs français. Les amateurs vous parleront avec passion de leur découverte de l’Aronde Simca ou de la DS Citroën, de leur surprise devant une Dauphine ou une Renault 8.
Cette aventure ne durera qu’une vingtaine d’années, et encore moins pour certains constructeurs. Rapidement les difficultés vont apparaître : les véhicules sont trop chers, ils n’ont pas été conçus ni adaptés aux rigueurs du climat. Le chauffage intérieur est très largement insuffisant, le démarrage trop délicat par temps froid, la suspension hydraulique gèle, les pièces sont fragiles et rapidement le sel dévore la carrosserie. L’organisation française légendaire s’illustre dans la gestion des livraisons et des pièces détachées, totalement désorganisée. Bref, sauf à être un inconditionnel, l’achat d’une voiture française va souvent virer au cauchemar.
Dès le début, les constructeurs s’implantent sans réel plan de développement, sans adapter leurs produits et sans véritable ambition. Pire, alors que les premières difficultés apparaissent, ils commencent à regretter leur arrivée plutôt que de corriger les défauts. Leurs filiales deviennent rapidement déficitaires. Ici, il faut penser « big », concevoir une tête de pont pour conquérir le continent, mais à Paris, les états major n’y croient pas, « le coup » est trop gros et trop risqué. Le développement de nouvelles réglementations et les chocs pétroliers des années 80, finiront par les convaincre d’abandonner un marché trop compliqué et trop coûteux, d’autant que l’organisation est déficiente.
Aujourd’hui, la crise qui frappe l’industrie automobile en Europe et plus particulièrement en France, interdit tout rêve de retour sur le marché québécois. Même si les véhicules ont beaucoup progressé techniquement, plus personne ne songe à tenter l’aventure sur un marché mature et très concurrentiel comme celui du Québec. Les Québécois qui s’émerveillent souvent sur leur voiture de location en France n’auront pas le plaisir de la posséder ici.
Par contre, posséder une de ces veilles voitures populaires françaises, comme Danielle et Michel, est devenu un « must ». La Traction, la DS ou la 2CV, ont relégué les Mustang et autre Camaro aux confins de la mode automobile. Effet garanti sur le Plateau, mais pas seulement !
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crédit photo : Danielle Bélanger et Michel Larouche
(1) Gilles Clerc est Français, et il vit au Québec depuis plus de 10 ans. En 2003, il fonde Francophonies à Montréal, magasin de musique francophone, et s’est diversifié depuis plusieurs années dans la vente de voitures miniatures 1/43ème, modèles français des années 50 à 80. Sa première voiture était une 2CV.
(2) Michel Larouche est l’un des meilleurs spécialistes des 2CV en Amérique du nord. Il les répare et les entretient, et il est le fournisseur officiel du Méhari Club Cassis en Amérique du nord.
Téléphone : (450) 455-7624 – Courriel : mdl2cv@yahoo.ca
Les sites québécois (ou presque) dédiés aux 2CV :
Ottawa Citroën Club
Citroen 2CV Québec
Lien vers l’article original : l’Outarde Libérée